Quitte à faire son service militaire, autant le faire dans les transmissions, qui plus est dans un bel endroit :
La Forêt Noire.
J'en avais fait la demande, et sans doute le fait d'être radioamateur a été entendu.
Le 42ème Régiment de Transmissions venait de s'installer en Allemagne, dans la ville de Rastatt, 65 km à l'Est
de Strasbourg.
En arrivant là-bas, dans le froid glacial de décembre 1963, nous étions tous un peu déboussolés. Il fallait faire
les classes et pas question de faire de la radio pendant les deux premiers mois.
En février 1964, nous recevons nos affectations : pour moi, destination Achern, Deuxième Bataillon du 42ème RT,
école de transmissions RADIO ... Ouf ! Achern est un joli petit village du Baden Würtenberg, situé
au pied des pistes de ski de la Forêt Noire, à quelques pas du MUMMELSEE, patrie des frères Grimm, ce lac que
les nains ont creusé en une nuit...
Dès notre arrivée, nous sommes dirigés en salle de cours de morse. Ce n'est pas encore dans un laboratoire de L.A.S.
(Lecture Au Son) mais dans une salle de classe normale. Notre caporal se présente, ouvre un petit générateur
en coffret métallique contenant un manipulateur de Morse, et commence à nous tester. Pour la plupart, les copains
se souvenaient du test d'aptitude passé lors des 3 jours à Vincennes, soit les 3 lettres : I-N-T.
Puis le caporal commence à manipuler les caractères E-I-S-H-5 (./../.../..../.....) puis T-M-O-CH (-/--/---/----). Déjà
à ce stade, un certain nombre d'élèves éprouve des difficultés.
En moi-même, je désapprouve cette méthode, mais je reste
sage à ma place. Je remarque que mon voisin est entrain de soupirer. Je lui demande si quelque chose ne va pas :
il me dit qu'il est radio dans la marine marchande, et qu'il commence à s'ennuyer. Je lui réponds que je suis
radioamateur, et à deux nous nous sentons déjà un peu mieux. Puis nous osons intervenir pour signaler que
nous connaissons le morse. Le caporal ouvre de grands yeux, et appelle le sergent chef, un personnage très craint
de la compagnie, connu pour ses exploits en Indochine, réputé pour sa virtuosité en lecture au son :
il a une solide expérience des tables d'écoute.
Sur un ton sévère, il nous demande de quitter la classe, et nous conduit dans un salle de L.A.S. que nous découvrons
pour la première fois. "Vous connaissez le morse, c'est ce que nous allons voir...", le contact est plutôt glacial.
Il nous donne un bloc et un crayon et nous demande de nous installer devant une machine bizarre, un "keyer", qui
ressemble à un magnétophone à bobines verticales, mais au lieu d'une bande magnétique, c'est une bande
en papier qui défile : sur cette bande sont tracés des créneaux courts et des créneaux longs
passant devant une cellule photoélectrique commandant un oscillateur. Un bouton permet de varier la vitesse de lecture
de 360 mots/heure à 1800 mots/heure. En transmissions militaires, on s'exprime en mots de 5 lettres par heure, alors que chez
les radioamateurs on parle plus souvent de caractères ou de mots par minute (wpm). On distingue deux types
de vitesse, celle avec le mot PARIS :
(.--./.-/.-./../...) ou le mot CONGO : (-.-./---/-./--./---). Le mot CONGO
est plus long à transmettre que le mot PARIS.
Le sergent chef le règle dès le départ à 1200 mots/heure (la vitesse de l'examen était à 600). Et c'est parti
pour des groupes de 5 lettres qu'il faut retranscrire sur papier. Un coup de stress, mais mon copain et moi
prenons la cadence. Le sergent chef augmente la vitesse, à priori pas de problème. Ce petit jeu se termine à 1800
mots/heure, machine bloquée, et à ma grande surprise, nous prenons toujours (auparavant, nous n'avions aucune idée de notre vitesse de lecture)
. Sur un ton de défit, le sergent chef nous explique qu'à cette vitesse là, il joue
simultanément aux échecs ! Une mouche a sans doute du nous pîquer, et nous effectuons quelques multiplications
tout en prenant à 1800 !
Alors nous vîmes enfin le sergent-chef sourire, et il demanda aussitôt de nous affecter à l'instruction,
de notre propre stage ! J'y resterai durant tout mon service. Mais dès cet instant, nous devînmes avec
ce Sergent chef d'excellents amis, et il nous invita au bar du mess et nous annonça qu'il était titulaire d' un
indicatif radioamateur "FI8..", du temps où il était en Indochine. Sa passion : le QRP avec 2 watts en télégraphie !
Il nous sera confié la réalisation de 4 laboratoires de lecture au son, avec les "moyens du bord". Chaque laboratoire comprenait :
- 3 keyers à bande papier (possibilité de trois niveaux dans la classe)
- une vingtaine de postes élève comportant chacun un manipulateur droit J38 avec barette de court-circuit,
une platine d'écoute encastrée dans la table, avec jack 6,35mm pour le casque et potentiomètre de volume.
- un pupitre professeur réalisé sur un panneau de contreplaqué, avec un dispatching à jarretières à jacks 6.35mm
permettant d'affecter les élèves à un keyer selon leur niveau.
- un jeu de commutateurs permettant de former des groupes de conversation.
Avec cette installation de fortune, nous formerons un grand nombre d'opérateurs qui passeront avec succès les brevets de
transmetteurs 151 et 251.
Plus tard, nous réaliserons un laboratoire similaire au radio-club d'Argenteuil F6KAL.
Nous parviendrons à transmettre le virus de la télégraphie à de nombreux conscrits, qui n'étaient pourtant pas
toujours disposés au départ à apprendre. Certains d'entre eux deviendront même radioamateurs.
Nous aurons aussi de temps en temps la visite d'autres radioamateurs de passage à Achern, dont certains comptent
encore parmi mes plus fidèles amis.
Ce passage dans une arme technique fut décisif pour ma future carrière dans le civil. J'eu le plaisir d'opérer
des équipements prestigieux comme les SCR399 (émetteur BC610 - récepteur BC312 et BC342), l'ANGRC9, le BC610,
le TRPP8, puis des systèmes plus modernes tels que l'ensemble ANGRC41 comportant notamment l'excellent récepteur
Collins R390 à affichage digital mécanique, son sélecteur de bande passante à 3 filtres mécaniques Collins,
et son émetteur d'un kilowatt.
Avec l'appui du Sergent Chef promu adjudant, nous déposerons une demande de création de radio-club, mais
les démarches prendront beaucoup de temps, et je n'aurai pas le plaisir d'opérer la station.
Si des anciens du 42RT venaient à se promener sur mon site, qu'ils n'hésitent pas à me contacter (voir formulaire).
Je serais heureux de reparler de cette période, qui grâce à la Radio fut agréable et enrichissante.